De nombreuses sociétés camouflent illégalement leurs comptes annuels. Pour résoudre cela, les auteurs du Vernimmen, un ouvrage sur la finance d’entreprise, proposent de rendre publiques les liasses fiscales.

« Il existe en France l’obligation pour la plupart des sociétés de déposer au greffe du tribunal de commerce leurs comptes annuels. En pratique, force est de constater, selon les départements, qu’entre la moitié et les deux tiers des entreprises déposent effectivement leurs comptes et que les autres s’en abstiennent », déplorent Pascal Quiry et Yann Le Fur, auteurs du Vernimmen, ce célèbre ouvrage sur la finance d’entreprise (voir leurs propos dans la lettre Vernimmen.net d’octobre 2021). Les dernières données en notre possession, qui portent sur l’exercice 2013, révèlent que 42 % des entreprises ne déposaient pas, en toute illégalité, ces documents. Soit environ 800 000 sociétés à l’époque.

Une obligation européenne

Pour les spécialistes Pascal Quiry et Yann Le Fur, la publication des comptes annuels relève de l’intérêt général. « Les créanciers peuvent mieux apprécier la solidité de leurs débiteurs, les entreprises vérifient à l’avance la solvabilité de leurs prospects, les tribunaux de commerce détectent à l’avance les entreprises en difficultés, l’investisseur y trouve des cibles d’investissement et le quidam y assouvit sa curiosité ».

A la base, la publication des comptes annuels provient d’une obligation de l’Union européenne. Elle concerne les sociétés dont la responsabilité des propriétaires est limitée (SA, SARL, SAS, etc.) — avec toutefois des options de confidentialité qui sont offertes aux Etats membres. Ce dispositif européen s’adresse aussi aux comptes (consolidés) de certains groupes.

Réutilisation de la liasse fiscale

Pour répondre à l’objectif de rendre publics les comptes annuels de toutes les sociétés qui y sont tenues, les spécialistes proposent une solution originale, celle d’exploiter la liasse fiscale. « Ne serait-il pas plus simple que l’administration fiscale qui reçoit toutes les liasses fiscales de toutes les entreprises de France s’occupe de leur publication, soit directement, soit à travers des sociétés tierces à qui elle les cèderait ? », se demandent-ils avant d’exposer les avantages d’une telle solution.

Selon eux, cette solution rendrait tous les comptes annuels concernés rapidement disponibles au public. Autre avantage qu’ils pointent, celui d’un allègement d’une formalité devenue gratuite pour l’entreprise. De plus, ils imaginent que l’administration pourrait obtenir de nouvelles recettes en commercialisant les données à des sociétés spécialisées.

Secret fiscal

Selon nous, la mise en œuvre d’un tel système pose questions à plusieurs titres même si cette idée a l’immense mérite de vouloir divulguer les informations comptables qui doivent l’être. Tout d’abord, on peut se demander dans quelle mesure ce dispositif serait compatible avec le principe de secret fiscal (à ce sujet voir notamment les articles 226-13 du code pénal et L103 du livre des procédures fiscales). Un principe qui fait toutefois l’objet de dérogations. L’une d’entre elles permet aux contribuables de prendre connaissance, auprès de la direction départementale des finances publiques dont ils relèvent, de certains renseignements sur les revenus et l’impôt sur le revenu d’autres contribuables (article L 111 du livre des procédures fiscales).  

Autre question qui se pose, celle de l’impact que produirait la publication des liasses fiscales sur l’image de l’administration. Un sujet d’autant plus délicat si le fisc revendait les données collectées, si tant est qu’une telle pratique soit légale.

Divergences fiscalo-comptables

En pratique, la publication des liasses fiscales entraînerait plusieurs difficultés. Il faudrait ainsi faire un tri parmi les entreprises pour ne retenir que celles qui doivent publier leurs comptes annuels. En gros, cela signifie de distinguer les sociétés des entreprises individuelles au régime réel — avec en plus un problème spécifique aux EIRL (entrepreneurs à responsabilité limitée) car ceux-ci doivent déposer un bilan (article L 526-14 du code de commerce).

Autre difficulté, celle générée par les divergences fiscalo-comptables dans ce contexte. Concrètement, il faudrait probablement retirer de la liasse fiscale certaines informations fiscales qui ne figurent pas dans les comptes annuels au sens du code de commerce et ajouter à la liasse fiscale certaines informations qui aujourd’hui n’y sont pas mais qui doivent faire partie des comptes annuels à publier.

S’ajoute à cela une tendance qui s’est développée ces dernières, en toute légalité cette fois-ci, celle de l’opacité comptable des sociétés qui est mise en oeuvre en distinguant les documents déposés de ceux publiés. Exemple : les petites sociétés (sociétés qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : chiffre d’affaires de 12 millions d’euros, bilan de 6 millions d’euros, 50 salariés) peuvent — sauf exceptions — rendre confidentiels leurs compte de résultat en ce sens qu’elles peuvent en réserver l’accès à certaines parties prenantes (articles L232-25 et D123-200 du code de commerce). Autre exemple, celui des micro-sociétés (sociétés qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 700 000 euros de chiffre d’affaires, 350 000 euros de bilan et 10 salariés) : elles peuvent — sauf exceptions — réserver l’accès à leurs comptes annuels à certaines parties prenantes (articles L232-25 et D123-200 du code de commerce).

Un sujet d’intelligence économique

Mais le problème posé par Pascal Quiry et Yann Le Fur n’est-il pas avant tout un sujet de politique économique ? Les entreprises qui camouflent illégalement leurs comptes annuels le font parce qu’elles préfèrent courir un faible risque juridique — la sanction encourue pour défaut de dépôt des comptes annuels est généralement faible — plutôt que de divulguer des informations importantes aux tiers et notamment à leurs concurrents. Bref, ce camouflage à grande échelle renvoie à un sujet d’intelligence économique qui est soutenu, plus ou moins officiellement, par le politique tant à l’échelle française qu’européenne. Et cela ne concerne pas seulement les — comptes annuels des — sociétés. Cela s’adresse aussi à certains groupes non cotés sur un marché financier.

Source : Editions legislatives

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